Marques Actives : la révolution symbolique

La marque. Objet de tous les fantasmes et de toutes les suspicions. Elle fait rêver autant qu'elle inquiète, elle mobilise tant pour que contre elle.

Nous sommes passés d’une société de consommation à une société des marques.
Raphaël Llorca - Le roman national des marques

C’est un fait, petite ou grosse, publique ou privée, inoffensive ou carrément hostile ; la marque, au sens d’émanation symbolique d’une entreprise, d’une organisation, d’une personnalité, d’un territoire… est partout. De là à voir dans la marque un “super-objet” au sens de Foucault, il n’y a qu’un pas.

Une approche foucaldienne de la marque

Michel Foucault, philosophe et historien des idées, a consacré une bonne partie de son travail à déconstruire les notions établies et à questionner les rapports de pouvoir qui structurent nos sociétés. Il a notamment analysé comment les institutions, les discours et les savoirs façonnent nos comportements et nos identités. Bref, des objets d’étude un tantinet complexes qu’on s’est pris à qualifier de “super-objet” et dont nous allons tenter de définir les contours : flous.

Flous parce qu’un super-objet n’est pas une entité figée, elle évolue au fil du temps et s’inscrit dans une historicité. En revanche, un super-objet est clairement identifiable par l’hétérogénéité des éléments qui le constituent, sa fonction sociale et sa capacité à articuler différents concepts. Alors, la marque est-elle un super-objet au sens foucaldien du terme ? D’une certaine manière oui. Faisons l’analyse des critères de Foucault pour s’en rendre compte :

  • Hétérogénéité : la marque ne se réduit pas à un simple nom ou logo. Elle englobe une multitude d'éléments (une culture, des signes et symboles, un discours, des symboles, des pratiques marketing, des produits, des services, voire une communauté). Elle est ainsi un assemblage d'éléments hétérogènes, tout comme les super-objets foucaldiens.
  • Historicité : la marque est un construit social qui évolue dans le temps. Elle est façonnée par les contextes historiques, culturels et économiques. Elle est donc bien ancrée dans une temporalité spécifique, tout comme les super-objets.
  • Articulation : La marque articule différents discours, savoirs et pratiques. Elle est à la fois un produit économique, un objet culturel et un vecteur identitaire. Elle met en relation des éléments apparemment distincts, comme le symbolique et le matériel, l'individuel et le collectif.
  • Fonction : La marque a une fonction sociale et économique. Elle permet d'identifier un produit ou un service, de construire une image de marque, de créer du lien avec les consommateurs et de générer de la valeur. Elle est donc un outil de pouvoir et de connaissance, au même titre que les super-objets foucaldiens.
La marque, en tant que dispositif de pouvoir qui fonctionne par l'inscription de normes, de valeurs et de désirs dans les esprits, peut-être considérée comme un super-objet.

Elle façonne les comportements des consommateurs, influence leurs choix et contribue à construire des identités collectives.

PS : Cette section a été rédigée avec l’aide de l’intelligence artificielle. Foucault, c’est sympa, mais c’est âpre.

Un super-objet implique de super-responsabilités

Cette petite digression chez Foucault nous permet, je crois, de mieux appréhender les mécanismes systémiques de fonctionnement des marques et leur impact sur les individus et les sociétés. Un impact qu’il est important de ne pas minimiser d’autant que la marque est liquide, elle s’infiltre par tous les pores de notre société. Tenez, prenons l’exemple estival des Jeux Olympiques que je vous propose d’analyser en mode “poupées russes” :

Les Jeux Olympiques (une marque), qui se sont tenus à Paris (une marque), ont permis de valoriser l’image de la France (une marque) à travers, notamment les performances d’athlètes comme Antoine Dupont (une marque) et grâce au concours de sponsors comme Louis Vuiton - LVMH (une marque).

On peut regretter cet hyper-mercatisation de l’espace public et estimer que la marque n’est que le bras armé d’un capitalisme outrancier qu’il convient de trancher. Ou bien, et c’est le propos que je vais tâcher de défendre, on peut considérer la marque pour ce qu’elle est : un super-objet capable d’influencer les comportements. Il ne tient qu’à nous de l’actionner au service d’une noble cause : la transition économique, écologique et sociale de notre société.

En somme, et c’est mon propos, la marque peut-être une force active dans la transformation de nos modèles de production et de consommation. Je parle alors de marque active ; une marque qui transcende sa finalité marketing première pour endosser un rôle actif au sein de la société. Forcément, cette approche nécessite une vision systémique de la marque, qui transcende sa vocation symbolique première. Elle est aussi le creuset de pratiques, propose des services (ou produits), produit un récit, propage une culture… Une approche qui demande aussi, nécessairement, de repenser la gouvernance des marques à l’aune des enjeux systémiques auxquels notre civilisation fait face. Bref, de penser l’articulation des pouvoirs chère à Foucault.

Pour entrer dans le vif du sujet, je vous propose à présent d’explorer 3 stratégies de marque active. On se posera d’abord la question de la mission de la marque, puis de son rapport au territoire avant d’évoquer les marques coopératives et leurs enjeux.

Les marques à mission

La principale révolution des marques ces dernières années n’est pas numérique, mais symbolique.

Aujourd’hui, plus que jamais, les marques se cristallisent autour de valeurs, d’une mission, d’une raison d’être.

Révolu le temps où la quantité, la qualité ou le prix d’un produit ou service suffisaient à faire pencher la balance du sacro-saint “responsable des achats” (aka “la ménagère”… sobriquet d’un temps où le marketing-à-papa régnait en maitre).

L’histoire du marketing nous montre que cette rationalité est une matière organique, qui évolue, suit et façonne à la fois les contours de la société. Si, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le marketing se faisait quantitatif (c’est l’émergence des formats XXL), celui-ci s’est transformé pour embrasser l’attente qualitative des années 70-80 (la lessive qui lave plus blanc que blanc) avant de se concentrer sur l’argument prix (2 pour le prix d’un) en période de crises systémiques (depuis la moitié des années 90).

Nous sommes aujourd’hui dans l’ère du marketing sémantique où le sens vient s’ajouter aux arguments quantitatifs, qualitatifs et de prix. Il ne les supplante pas, mais vient apporter un angle nouveau de compréhension de la rationalité marketing qui s’incarne particulièrement à travers la marque. Aujourd'hui plus qu’hier :

Je suis ce que je consomme.

Un mouvement qui s’est opéré sur les 40 dernières années et qui s’est lui-même transformé. À un ensemble symbolique hédoniste (j’achète une Tesla pour montrer mon statut social) s’ajoute un ensemble symbolique altruiste (j’achète une Tesla parce que je veux réduire mes émissions de carbone). L’exemple “Tesla” est intéressant, car, bien que largement discutable et discuté, il joue sur ces deux tableaux en draguant à la fois l’ego et la conscience altruiste des acheteurs (j’utilise le masculin à propos).

La dimension symbolique de la marque, chère à Raphaël Llorca a donc évolué pour englober aujourd’hui des symboles hédonistes et altruistes (auxquels l’auteur du “Roman National des Marques” ajoute des symboles politiques forts, mais c’est un autre sujet).

Toujours est-il que la marque s’adapte à son environnement. C’est une forme mouvante.

Cette évolution sémantique suit l’évolution des organisations elles-mêmes qui intègrent pleinement les notions de raison d’être, de responsabilité, d’engagement dans leur stratégie.

Qu’elles soient labellisées BCorp, ESUS, Sociétés à Mission ou simplement engagées dans une démarche profonde de Responsabilité (sociale et/ou territoriale), toutes ces organisations se dotent d’un ensemble de règles qui guident leur activité ainsi que l’expression de leur marque. Celle-ci devient alors l’étendard, le porte-parole d’un projet entrepreneurial plus large, qui transcende la seule dimension économique pour intégrer les enjeux sociaux et écologiques. Elle est vectrice de la mission de l’organisation et devient ainsi une marque à mission.

Chez .Repliq, nous définissions la marque à mission comme l’expression authentique d’une organisation engagée. Elle en porte les valeurs et incarne la raison d’être à travers son offre, ses actes, ses pratiques et ses communications. La marque à mission défend une approche nécessairement systémique de la marque dans la mesure où elle ne peut traduire la responsabilité d’une organisation sans s’intégrer pleinement dans ce qui fait l’entreprise : de son offre à sa gouvernance en passant par ses pratiques et, bien entendu, ses communications.

Les marques hyper-locales

Tout est marque. D’accord. Mais y a-t-il une taille critique de l’audience et donc, par effet miroir, de l’ampleur de l’organisation pour que celle-ci endosse pleinement les habits de la marque ? Autrement dit : est-ce que la taille compte ? On aurait tendance à répondre par l’affirmative tant il est vrai que seules les marques d’ampleur nationale, voire internationale, occupent le devant de la scène. Mais cet état de fait, problématique par ailleurs, semble être la résultante d’un marché publicitaire qui s’offre au plus offrant et donc, au mieux doté. Et pourtant, derrière les quelques marques “top-of-mind” existent une myriade de marques plus intimistes. Il s’agit pour la plupart de marques de niche et/ou de marques hyper-locales au sens où le définit Elisabeth Laville (autrice et directrice générale de l’agence “Utopies”).

Ces micro-marques fonctionnent telles des micro-influenceuses dans leur périmètre géographique ou marketing restreint. Elles cultivent une attache forte à leur audience et, pour les marques territorialisées, incarnent un ancrage de la marque au réel.

Cette relation de la marque au territoire offre des opportunités de rattachement et de responsabilité fortes pour les entreprises, et ce, quelque soit leur taille. En effet, on observe qu’une organisation hyper-locale a tendance à intégrer plus efficacement les enjeux écologiques et sociaux dans sa stratégie.

Intéressons-nous aux entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS). Statutairement, celles-ci sont ancrées sur un territoire. Idéologiquement, elles défendent (pour la plupart) une économie au service du social et de l’environnement. Ces entreprises sont donc nativement coresponsables de la santé économique et sociale de leur territoire. Prenons l’exemple de Citiz. Cette coopérative d’autopartage vise avant tout à proposer un service de mobilité partagée sur un territoire. Et dans la mesure où chaque territoire est différent, l’approche de l’entreprise ne peut être que hyper-locale. Elle associe donc les collectivités, les usagers, les acteurs économiques… Bref, elle fait de ce cadre territorial le ferment d’une coopération forte et porteuse de sens à travers l’expression de sa marque. On retrouve là aussi des échos foucaldiens.

Les marques coopératives

Les notions de territoire et de coopération sont par ailleurs intimement liées. Marilyne Filippi fait de cette dernière un ingrédient clé d’une démarche de Responsabilité Territoriale de l’Entreprise (RTE). De même, la coopération est un accélérateur de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) à travers, notamment, l’intégration des parties prenantes aux décisions qui les concernent.

Bref, la coopération semble jouer un rôle clé dans les dynamiques de responsabilité. Pas étonnant, dès lors, que les marques coopératives se positionnent en tête de proue des marques responsables. Nous prenions l’exemple de Citiz, mais nous pourrions citer aussi Enercoop (fournisseur d’énergie), Telecoop (opérateur téléphonique) ou encore Label Emmaüs (e-commerce du réseau Emmaüs). Autant d’entreprises qui suivent un même mouvement : celui de la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Ce modèle, bien qu’encore marginal, offre une opportunité formidable de réconcilier l’économie avec son socle écologique et social. À tel point que la forme intéresse même les déçus du foot business (Sochaux et Bastia ont déjà sauté le pas, Bordeaux y réfléchit).

il y a un espace pour permettre l’expression de marques coopératives a forte portée symbolique.

Ces marques coopératives (plus encore que les marques hyper-locales ou les marques à mission décrites jusqu’alors) proposent un nouveau modèle, en rupture dogmatique radicale avec une économie orthodoxe, néo-libérale. Dès lors, elles doivent déployer un discours en phase, donc disruptif. J’ai écrit il y a quelques temps une série d’articles sur le “récit coopératif” et je crois qu’il y a là, dans cette approche narrative, les ingrédients d’un déploiement réussi des marques coopératives. Leur valeur première réside dans la ferveur du collectif, du faire ensemble. Bien loin d’un discours publicitaire narcissique, le récit coopératif fait la part belle à l’aventure, aux péripéties, au faire ensemble. C’est un récit du temps long, clairement, mais qui, me semble-t-il, retranscrit au mieux la raison d’être des marques coopératives.

De l’urgence des marques actives

Qu’elles soient coopératives, territoriales ou à mission, les stratégies de marques actives offrent aux entreprises des pistes de réflexion stratégiques et politiques puissantes. Politique oui. Puisque tout est marque, puisque la marque est “super-objet” un être doué de parole, capable d’infléchir les comportements (d’achat, mais aussi de vote), la marque est un objet de société et donc, un objet politique. D’ailleurs, les forces politiques ne s’y sont pas trompées et, à l’extrême-droite notamment, instrumentalisent les marques et les habitudes de consommation qu’elles recouvrent à des fins idéologiques.

Un “consumérisme national” est né et s’étend dans le champ politique
Raphaël Llorca

Il est grand temps de lui imposer un “consumérisme social” sous la bannière de marques actives, citoyennes, engagées.

Auteur

  • Aurélien Vialette

    Cogérant • stratégie, conseil et formation

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