Pourquoi les SCOP ne font pas marrer ?

5 Septembre 2024. Les SCOP sont à l’honneur dans l’émission Zoom Zoom Zen de France Inter. Comme il est de coutume chaque semaine, l’humoriste suisse Yann Marguet prend le micro pour son billet d’humour hebdomadaire. Son constat est sans appel : pas possible de faire rire avec un truc aussi chiant que les SCOP.

Même Benoît Hamon, invité de l’émission ce jour-là, semble lui donner raison. Et c’est vrai, les coopératives ne sont pas les entreprises les plus fun et sexy de France. Mais pourquoi ? Alors que les coopératives répondent à des enjeux de société, pourquoi leur image n’est pas à la hauteur de leurs actions ?

Les SCOP ont un problème d'égo

L’une des explications, me semble-t-il, est à chercher du côté de la représentation de l’égo. Notre société est une société d’ego. Notre individualité est revendiquée, chouchoutée, mise en scène à travers fictions et publicités. Dans le même temps, la figure entrepreneuriale est glorifiée, élevée au rang de rock star de la startup nation. Bref, nous avons naturellement plus facilement tendance à célébrer l’égo.

Or, dans une coopérative, la culture de l’égo tend à s’effacer au profit d’une culture du groupe. Ici, pas de dieu unique à aduler, mais un panthéon de divinités hétéroclites à célébrer. Force est de constater que ce polythéisme entrepreneurial peine à percer face au storytelling des entrepreneurs stars de notre économie.

De l’ego à l’agapè

Alors quoi ? Le pouvoir de l’égo serait-il un incontournable pour percer le plafond de verre de l’image et devenir enfin fun ? Les coopératives doivent-elles se doter d’égéries, de porte-étendards médiatiques pour porter haut et fort leur modèle ? Possible. Mais auquel cas, ne risque-t-on pas une forme d’isomorphisme en gommant, de fait, ce qui fait la spécificité coopérative des SCOP ? Probablement. Alors on fait quoi ?

J’ai eu la chance d’aborder ce sujet lors de L’Onde de Coop 2024 aux côtés de Marion Graeffly (DG de l’opérateur Télécoop) et de proposer une alternative à l’égo : la fierté coopérative.

C’est vrai quoi, les coopératives ont de quoi être fières de leurs actions.

Des actions qu’elles mènent avec le souci du collectif au service de l’intérêt commun. L’action coopérative est marquée par l’altruisme ; une sorte d’amour de son prochain, de considération pour autrui et son environnement.

Voilà : là où l’économie capitaliste valorise l’égo, l’économie sociale et solidaire célèbre l’agapè (un amour qui transcende l'ego et les intérêts personnels pour se tourner vers le bien commun)

“On coopère par amour” nous dit Eloi Laurent dans “Coopérer et se faire confiance” et voilà bien un sentiment sur lequel les coopératives peuvent s’appuyer pour proposer un discours mobilisateur.

La fierté coopérative : un amour revendiqué

Je propose donc de placer l’agapè et sa revendication au cœur du discours des coopératives en élevant haut ce qui fait la fierté coopérative. Car au fond, qu’est-ce qui impulse un mouvement si ce n’est la fierté qu’on y place ?

Concrètement, pourquoi et comment actionner une communication de la fierté ? J’y vois trois usages.

La fierté pour embarquer

D’abord, la fierté, comme marqueur d’identité, est une valeur positivement connotée dans nos sociétés occidentales. Une communication de la fierté coopérative est donc une communication positive qui favorise l’embarquement de nouveaux membres (sociétaires, client·es, usagers…) dans un nouveau modèle.

Cette communication par la fierté peut par exemple se matérialiser par un discours de l’antagoniste (nous vs …) dans lequel l’individu trouve l’espace pour assumer son identité à travers sa fierté. L’ironie, le décalage sont aussi des leviers sémantiques à exploiter ici. Des leviers que les coopératives ignorent souvent, préférant une communication militante et, en mon sens, trop centré sur le statut (or, Yann Marguet le faisait remarquer :

SCOP en majuscules, ça ne veut rien dire à personne
Yann Marguet - le 05 septembre 2024 sur France Inter

En effet, je crois que pour “embarquer de nouveaux membres”, les coopératives doivent sortir d’une communication exclusivement axée sur le statut et les valeurs pour occuper le terrain de la fierté de l’offre. C’est vrai quoi, il y a une certaine fierté à consommer de l’électricité locale (avec Enercoop), à utiliser une voiture sans les contraintes de son entretien (avec Citiz), à profiter d’un abonnement téléphonique qui fonctionne sans surprise (avec Telecoop). Bref, la fierté coopérative doit aussi éclairer l’offre coopérative et pas uniquement son modèle d’entreprise.

Or, quand on demande à un panel de membres du mouvement coopératif “les raisons de leur fierté” ; toutes et tous citent le modèle coopératif, l’alternative qu’il propose, sa place dans la société. Personne ne rattache sa fierté à l’offre de produits ou services de sa coopérative.

Ce silence généralisé en dit long, me semble-t-il, sur le discours (peut-être) un peu trop “model-centric” des coopératives (SCOP et SCIC).

La fierté pour consolider

Mettre en avant la fierté coopérative, c’est aussi donner les moyens sémantiques à ses membres d’assumer avec fierté leur choix pour consolider leur comportement et l’ancrer face aux vents de l’économie capitaliste. Car disons-le, c’est moins sexy d’utiliser Citiz que d’acheter une Tesla, c’est moins avantageux de prendre son abonnement chez Telecoop que chez Sosh, c’est moins rapide de prendre un bateau Sailcoop que l’avion pour se rendre en Corse…

Ici doit se déployer une communication pédagogique, presque d’éducation populaire visant à donner aux membres les arguments factuels et les techniques rhétoriques pour affirmer leur comportement avec fierté. La communication de rétention est donc un enjeu central des coopératives et de ce point de vue là, c’est un exercice qu’elles maîtrisent plutôt, fortes de leur culture coopérative.

J’ai pu expérimenter, à titre personnel, la force de cette fierté “d’en faire partie”. Je suis client et sociétaire de Télécoop, un opérateur téléphonique coopératif qui propose des abonnements limités en data (10G), avec une politique de sobriété numérique associée à un prix plus élevé que ceux pratiqués par la concurrence. Autant dire que, à l’esprit des télémarketers œuvrant pour SFR, Orange ou Free, je suis un pigeon facile à retourner grâce à une offre tarifaire avantageuse. Ce qui serait certainement le cas si je n’avais pas, avec moi, les outils sémantiques, réthoriques, pratiques pour affirmer mon choix et ancrer mon comportement. Là où ils voient un pigeon, se déploie en réalité un paon dans toute sa fierté coopérative.

La fierté pour transformer

Enfin, la fierté, en plus d’être un carburant formidable des comportements individuels, permet de soutenir un projet de société collectif. Elle offre un socle programmatique solide sur lequel bâtir une proposition sociale radicale.

Cette communication transformative peut prendre les traits de la fiction, de la projection dans un avenir meilleur. Elle vise, non pas à changer les comportements individuels, mais à influencer les représentations collectives. Paradoxalement, ce champ de la projection collective reste peu investi par les coopératives. Et ce, malgré leur culture politique et sociale forte et leur capacité à verbaliser leur fierté coopérative par le projet collectif. Sur ce point, les coopératives doivent, encore une fois, transcender leur seule fierté statutaire.

Rare exemple d’une coopérative ayant transformé cet essai : la coopérative “C’est qui le Patron ?”. Sa communication s’articule autour de deux axes : la qualité des produits et la mobilisation des consommateurs. Au point même que pour bon nombre (et moi le premier), le statut coopératif de l’entreprise est totalement occulté. Mais “C’est qui le Patron” se démarque aussi par son approche de la communication. Elle n’hésite pas à jouer le jeu de l’égo en mettant en avant son fondateur, Nicolas Chabanne, en ambassadeur de la marque. Cette incarnation “Intuitu personæ” est d’ailleurs plus régulièrement utilisée par les entrepreneur·es à impact. Effectivement, que serait Le Slip Français sans Guillaume Gibault ? Loom sans Julia Faure ? Le Drive tout Nu sans Salomé et Pierre Géraud ? Plus que des chef·fes d’entreprises, ce sont là de véritables égéries, les porte-étendards de leur projet.

L’égo serait-il, finalement, la solution pour percer ? Peut-être, mais cette communication par l’ego aura, me semble-t-il, plus de poids, si elle est mise au service d’une fierté coopérative.

Fièrement prendre son envol

Il est temps que les paons enlèvent leurs masques de pigeons pour s’affirmer et déployer leurs plumes avec fierté. Mais laissons là la métaphore aviaire et revenons à nos moutons : le modèle coopératif offre à ses membres une myriade de motifs de fierté. Que ce soit dans le modèle défendu, dans l’offre fournie ou dans le projet de société auquel il œuvre. Ne laissons pas s’envoler cette fierté vers d’autres cieux ; peut-être moins enclins à participer à une économie plus solidaire, plus résiliente, plus durable.

Un article concocté par

  • Aurélien Vialette

    Cogérant • stratégie, conseil et formation

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