Aux marques citoyen·nes !
Aurélien revient sur "Le roman national des marques" de Raphaël Llorca.
Les marques sont politiques. On se tue à le dire à longueur de journée à qui veut bien l’entendre : nos client·es, étudiant·es, partenaires… Et l’essai de Raphaël Llorca vient renforcer cette intime conviction. Ce qu’on avait moins vu venir en revanche, c’est à quel point la politique était marketing.
Quand les marques racontent la France
Voilà bien longtemps que les marques ont quitté leur giron marketing pour se draper des habits du roman national. Elles racontent la France, racontent les Français et influencent l’image que chacune et chacun a de la première et des seconds. C’est une chose acquise. Oui mais pourquoi ? Pourquoi ces “constructions marketing” s’aventurent-elles sur d’autres terrains que leur près carré mercantile ? C’est que la marque est une émanation symbolique de l’entreprise ou l’organisation qu’elle incarne. Elle porte des valeurs, incarne une posture, formule une promesse, raconte une histoire… Et tout le sujet est là : la marque est douée de parole. C’est un être de discours, une narratrice de son époque.
Or, notre société contemporaine semble être en mal de narrateurs capables de raconter un roman national cohérent. C’est le constat que pose Raphaël Llorca en s’appuyant sur une étude menée avec l’institut IFOP. Aujourd’hui, personne ne raconte la France. Et donc tout le monde peut raconter SA France avec d’autant plus de facilité que la grande messe cathodique a été remplacée par une multitude de chapelles numériques (ton Netflix n’est pas le mien). Ainsi, pour Air France, la France n’est qu’élégance et légèreté (France is in The Air), pour Renault, la France est un patrimoine, pour Séphora, elle est inclusive…
Ces discours, s’ils peuvent paraitre anodins, témoignent d’une véritable posture active des marques pour partager leur conception de la France et des Français et influencer la vision de leurs publics en retour.
À maints égards, il serait faux de penser que les marques ne seraient que le reflet du pays dont elles parlent ; du fait de leur puissance symbolique et de leurs parts de voix médiatiques, elles disposent aussi du pouvoir d’en modifier en profondeur la perception et donc la réalité du pays lui-même.
Raphaël Llorca explique ce glissement du marketing au politique par un déplacement brutal des repères sociaux entrainé par quinze années de crises à répétition. Autant de chocs qui ont ébranlé nos normes et embrumé notre représentation du réel. Ainsi, nous sommes passés d’une “société de consommation” à une “société de marques” disposant d’un capital (économique, symbolique, culturel) mues par des visions du monde, des projets de vie et des façons de penser la société dans son ensemble.
Quand la politique devient marketing
Ce brouillage des frontières entre marketing et politique entraine un effet de bord. Puisque les marques semblent mieux parler de la France et des Français que les politiques, alors ces derniers vont intégrer les marques dans leur plateforme. Ainsi, la consommation devient un objet de polarisation politique. Du barbecue de Sandrine Rousseau à la marinière d’Arnaud Montebourg en passant par l’ode à “la bagnole” d’Emmanuel Macron, les références à la consommation et aux marques qui l’incarnent viennent ponctuer les discours politiques. Pire encore, on retrouve, dans ces mêmes discours politiques, nombre d’éléments de langage marketing.
Ainsi, quand Marine Le Pen promet de bloquer les prix sur “un panier de 100 produits du quotidien”, elle ne fait que reprendre les éléments de langage que la grande distribution diffuse depuis des années. L’extrême droite, d’ailleurs, adopte une stratégie radicalement offensive à l’égard des marques. Des espaces “Girls Only” de Basic Fit à la vidéo sur le club des Hijabeuses sur le compte Instagram de Sephora ; la frange la plus conservatrice de l’échiquier politique articule de plus en plus son argumentaire autour des prises de position des marques. Et il n’y a rien d’étonnant à cela. Parler de consommation, c’est parler du quotidien des Français et des Françaises. Faute de parler de la France, parlons de ce qu’elle achète. Ce “consumérisme national” porte en soi un fond de discours fondamentalement populiste en ce qu’il fait des marques les catalyseurs d’une identité nationale.
Vers un “consumérisme social” ?
L’ouvrage de Raphaël Llorca est un bonbon. Il se lit avec délectation et gourmandise. On navigue entre histoire, consommation, politique, marketing avec aisance et simplicité. Le tout illustré d’exemples concrets et à propos. Bref, il est à mettre entre toutes les mains. Celles des consommateurs et consommatrices alertes, celles des professionnel.les du marketing soucieux de repenser leurs pratiques, celles des politiques en mal de narration…
Pour ma part, cette lecture a été une confirmation ; un indice de plus qui me montre que la voie que nous prenons avec .Repliq est la bonne : celle d’une société de marques actives pour la transition. Car oui, la marque est un être de discours puissant, capable de parler, de fédérer, d’engager, d’influencer des générations. Alors pourquoi ne pas mettre ce pouvoir au service d’une consommation écologique et sociale ? C’est aussi la réflexion que semble ouvrir Raphaël Llorca en appelant de ses voeux l’émergence d’un “consumérisme social” en réponse au “consumérisme national” qui prend racine dans le débat politique.
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