Haro sur la langue !
La communication, c’est le génie des mots. L’ingénierie du sens et des effets à des fins de production, de mécanique sémantique. C’est ce qui différencie notre métier des artistes, écrivains, gens de lettres qui ont, eux, la langue en artisanat. C’est en tout cas ainsi que je pense notre/mon rapport à la langue : une matière première à modeler. Mais une matière première vivante, organique, en évolution perpétuelle. Et les évolutions de la langue sont bienvenues ! Une langue qui n’évolue plus est une langue morte, figée dans le formol du temps.
Alors, forcément, quand la langue évolue, dans la norme ou dans les usages, j’y suis sensible. Mais ces derniers temps, je vois la langue évoluer à rebours, en réaction, dans un mouvement presque orwelien (note : je viens de terminer “1984” en livre audio, mon oreille est peut-être quelque peu biaisée). Entre l’épuration langagière en cours de l’autre côté de l’atlantique, la dévitalisation du discours économique/managérial/publicitaire (j’en prends ma part) et l’agenda d’une intelligentsia réactionnaire pour figer, voire privatiser la langue ; il y a de quoi s’alarmer de la préservation de notre ressource commune : la langue.
Ne dites plus… Dites…
À l’heure où j’écris ces lignes, Trump vient de passer les 100 premiers jours de son second mandat à la tête des États-Unis. Cent jours, autant de dingueries au compteur de l’oncle Donald, parmi lesquelles une mise au pas dans les règles du monde scientifique qui passe par, outre une coupe budgétaire rase, un ravalement des mots et des termes admis. Quelle dystopie perverse aurait pu imaginer qu’en 2025, les termes “environnement” ou “diversité” seraient tabous, interdits, voldemorisés ?
Mais le ministère de la pensée agit aussi de ce côté de l’océan où le service du dictionnaire (l’Académie Française, aka “les Immortels”) vient de boucler la neuvième édition de son œuvre (ils auront mis le temps : 90 ans). Un bien bel ouvrage dans lequel on apprend entre autres :
- qu’une femme se définit par sa capacité à enfanter
- que l’hétérosexualité est la relation naturelle entre un homme et une femme
- qu’il est ok de qualifier un enfant africain ou afro-descendant de “négrillon”. Dans le plus grand des calmes.
Je m’arrête là et vous laisse consulter le débunkage en règle de Linguisticae sur la chaîne Youtube (ça dure 1h15, mais c’est du temps bien investi).
L’occasion est morte, vive le reconditionné !
Autre sujet d’attention, c’est l’usage de la langue dans un cadre économique, managérial ou publicitaire. J’ai récemment été surpris par une pub télévisée, faisant la promotion de “voitures d’occasion” sans prononcer le mot “occasion”. À la place, on y parle de “voitures reconditionnées”. C’est peut-être un détail pour vous, mais ça veut dire beaucoup. Quoi ? Deux possibilités : soit le langage de la transition infuse dans l’économie conventionnelle (et c’est bon signe), soit l’économie conventionnelle accapare cette ressource langagière (et c’est un problème). Mon instinct me dit que cette dernière option est la plus probable avec une résultante évidente : la dévitalisation du discours de la transition. Quand “reconditionné” ne voudra plus rien dire, à quoi bon faire confiance aux acteurs sincères du reconditionné qui sont bien souvent, également, des acteurs de l’insertion sociale ?
Cette dévitalisation, on l’a déjà vue dans le discours managérial. Ne parlez plus de “personnes”, encore moins de “salariés”, mais de “talents” ou de “collaborateurs”. Et pourtant, les mots ont un sens. Renier à une personne salariée à la fois sa dimension d’individu (en tant que personne) et sa capacité à faire corps (en tant que salariée), c’est annihiler toute tentative de constitution sociale au sein de l’entreprise. C’est subtil, sournois, d’une violence rare et muette.
La langue, un bien commun accaparé
Ces deux exemples de contrôle de la langue par une entité institutionnalisée ou par une rationalité managériale montrent à quel point la langue, le langage et les mots sont des outils de pouvoir et de contre-pouvoir. L’écriture inclusive s’inscrit dans ce contre-pouvoir, de même que les expérimentations en orthographe exploratoire ou le combat des linguistes atterrés pour insuffler un vent meilleur sur notre langue commune. Mais ces bastions semblent bien frêles face à une armada réactionnaire qui s’organise autour d’institutions, d’entreprises, d’associations ou de personnalités économiques ou politiques pour accaparer la langue. Alors prenons garde, aiguisons notre esprit critique, soyons les vigies de notre bien commun : la langue.
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